dimanche 8 janvier 2012

De quoi la géopolitique est-elle le nom ?

Toujours pour tenter de mieux cerner le champ de nos recherches, cherchons d'abord à distinguer géopolitique, relations internationales, sciences politiques, géographie politique.

Et dans ce champ de recherche, quand on cherche à définir quelque chose, qu'est-ce qu'on fait ? On prend son Coutau-Bégarie (si on ne le connaît pas par coeur, ce qui serait pourtant le minimum). « Le facteur territorial a donc été placé au coeur d'une analyse de puissance qui a d'abord été descriptive, académique : la géographie politique, puis qui s'est voulue praxéologique, science pour l'action : la géopolitique ».

Yves Lacoste, dont les travaux (et particulièrement la fondation de la revue Hérodote en 1976) ont contribué pour une grande part à l'essort de la discipline en France, la définit pour sa part comme « l'étude des rivalités de pouvoir sur un territoire ». Et même si on peut constater l'absence de référence à la géographie dans la définition fournie par Frédéric Encel : « l'analyse des rivalités de pouvoir entre entités politiques, le plus souvent de nature étatique, et visant pour l’essentiel la conquête ou le renforcement de la souveraineté1 », la lecture du reste de son argumentation suffira à convaincre de son importance.

En France, la géopolitique a acquis une certaine popularité il y a une dizaine d'années seulement. Il n'y a qu'à voir le nombre d'ouvrages désormais consacrés à des sujets géopolitiques : le 11 Septembre a ici marqué une rupture éditoriale. La discipline a fait une timide entrée dans le monde universitaire par le biais des Masters spécialisés. Cette entrée n'en reste pas moins une entrée par la porte de service, comme le notait Aymeric Chauprade en 2007 (à l'époque, donc, où il était encore possible de le citer) : « J’ai constaté que la France publiait beaucoup d’ouvrages d’histoire des relations internationales mais que l’approche géopolitique, très prisée dans le monde anglo-saxon et fondée sur la prise en compte des réalités de la géographie physique et identitaire, était délaissée en France. L’Université française, prisonnière de ses impasses idéologiques (la réduction de l’histoire au seul facteur de classe), boudait et continue de bouder cette matière. Dans ce domaine comme dans d’autres, elle porte une immense responsabilité dans la faiblesse de la formation géopolitique de l’énarchie comme des fonctionnaires du Ministère des Affaires étrangères 2 ». Lui aussi définit la géopolitique comme sous-champ des relations internationales (« la géopolitique est un éclairage, partiel mais néanmoins déterminant, des relations internationales »).

A l'inverse, aux Etats-Unis, la géopolitique est une discipline des plus respectables. En conséquence, ils nous ont donné les plus grands noms de la discipline : Brzezinski, Fukuyama, Huntington, etc.
Au final, on conclura à une double paternité de la géopolitique : à la fois issue des relations internationales et de la géographie, elle s'en distingue par deux éléments :
  • La relative absence d'un corpus théorique solidement constitué. Ce point est discutable : on peut par exemple citer à l'appui de la thèse inverse les solides travaux théoriques d'un Beaufre ou d'un Poirier. Il n'empêche que ces travaux n'englobent pas l'ensemble du champ de la recherche géopolitique, mais seulement un de ses aspects. Il n'existe pas vraiment de "théorie de la géopolitique" comme il peut exister des "théories des relations internationales" ou des "théories géographiques".
  • En contrepoint, (ce qui explique, à mon sens, la "carence" identifiée au point précédent), la géopolitique est une science qui a pour but d'éclairer les décideurs politiques, ou au moins, d'expliquer leurs décisions. La géopolitique est donc orientée vers l'action, science pour l'action, et, pour atteindre son but, utilise tous les outils mis au point par les disciplines connexes. En géopolitique, le choix des outils théoriques ne se fait pas a priori (un sociologue bourdieusien qui décide d'observer les comportements d'un groupe d'individus, par exemple), mais au vu du résultat escompté : de quel outil vais-je pouvoir me servir pour comprendre et anticiper les comportements de ce groupe d'individus ? Le géopoliticien aura alors le choix de piocher dans la sociologie, la géographie humaine, la psychologie, les sciences des religions, l'ethnologie, etc. Toutes sciences qui ont pour un seul et même but : comprendre et expliquer l'homme. Le raisonnement du géopoliticien s'effectue donc à rebours de celui des autres chercheurs en sciences sociales.

1. ENCEL, Frédéric. Questions de géopolitique ou la géopolitique en question. La revue pour l’histoire du CNRS [En ligne], 16 | 2007, mis en ligne le 26 mars 2009, consulté le 08 janvier 2012. URL : http://histoire-cnrs.revues.org/1573
2. CHAUPRADE, Aymeric. Entretien pour Armées d'Aujourd'hui. 3 août 2007.

3 commentaires:

  1. vaste sujet que celui de la géopolitique.....en meme temps c'est une science qu'il faut tenter de maitriser un temps soit peu si on veut se faire une idée sur le fonctionnement du monde qui nous
    entoure et la politique à travers le monde. Votre article est fort intéréssant.

    RépondreSupprimer
  2. Article intéressant : il faut toujours commencer par un peu d'épistémologie : bravo donc.
    1/ Beauffre et Poirier écrivent sur la stratégie. Gallois n'écrit pas seulement là-dessus, puisqu'il écrit un "Géopolitique" qui demeure une référence, avec justement l'effort épistémologique dont
    nous parlons.
    2/ Puisqu'on en est à la méthode : revenir à Renouvin et Duroselle. Ne pas oublier Thual. Et bien sûr, Paul Claval.
    3/ Enfin, la définition que vous proposez me semble plus celle de la stratégie; en tant que "guide pour l'action". La géopolitique est préalable : elle est diagnostic (logos, explication) quand la
    stratégie est normative (voilà ce qu'il faut faire, voilà comment).
    Cordialement
    égéa

    RépondreSupprimer
  3. commentparlerdumonde26 mai 2015 à 00:24



    Merci beaucoup pour votre commentaire et vos indications (notamment Claval, que je ne connaissais pas... Je ne suis décidement pas géographe).


    L'affaire est complexe, décidement, et je crois que plus on écrit sur le sujet, plus on contribue à le complexifier ! Je pense que je vais tenter un tableau, sur la question, histoire d'y
    voir plus clair.


    Pour le 3) : effectivement, il y a le risque d'une certaine confusion, dans ce que je propose, je n'y avais pas pensé. Coutau-Bégarie définit pourtant la géopolitique comme une science
    pour l'action.  Mais après tout, on pourrait infléchir cela, et parler d'une science de l'action (il parle aussi de praxéologie) : une science qui peut à la fois
    servir à éclairer la décision politique ex ante, et expliquer ex post ; un diagnostic dans les deux cas, effectivement. A tâtons, pour l'instant, je pense aussi à une
    distinction classique du type niveau politique / niveau stratégique, puisqu'après tout, c'est bien ce que leurs dénominations nous indiquent...


    Isa.



    RépondreSupprimer