Le 8 novembre prochain, se tiendront en Birmanie des
élections nationales, ayant pour but de fournir des représentants aux deux
chambres du Parlement (168 sièges pour la Chambre haute et 330 sièges pour la
Chambre basse), ainsi qu’aux parlements régionaux. Un quart des sièges dans les
deux chambres nationales sont réservés d’office à des militaires et ne sont pas
soumis à l’élection. Les Parlementaires voteront ensuite en 2016 pour choisir
le Président. Les postes de ministres de l’Intérieur, de la Défense et des
Frontières sont réservés à des militaires.
(source : Myanmar Times)
93 partis, dont les deux tiers existent sur des bases
ethniques (135 recensées en Birmanie), sont représentés par quelques 6200
candidats. Les deux grands partis en présence sont la National League for
Democracy (NLD) d’Aung San Suu Kyi (opposante historique et prix Nobel de la Paix
1991) et l’Union Solidarity and Development Party (USDP) très proche des militaires.
Suu Kyi, membre du Parlement depuis 2012 et candidate à la Chambre basse, ne pourra pas se
présenter à la présidence : la Constitution birmane interdit à une
personne mariée à un étranger (ce qui fut le cas de Suu Kyi, mariée au
Britannique Mickael Aris) ou qui ont des enfants possédant une nationalité
étrangère (idem) de le faire – une cause rédigée presque sur-mesure,
pourrait-on penser avec un peu de mauvais esprit. Briguant la présidence depuis
de très nombreuses années, ayant consacré l’essentiel de son énergie, durant l’année
2015, à faire modifier l’article 59(f) de la Constitution, responsable de sa
mise à l’écart de cette fonction, Suu Kyi a toutefois déclaré qu’elle dirigerait
malgré tout le gouvernement et a fait comprendre qu’un Président issu de son parti n’aurait
que peu de latitude, puisqu’elle se situerait « au-dessus » du
Président. D’ailleurs, personne n’a été désigné, dans la NLD, pour exercer la
présidence en cas de victoire. La démocratie, c’est compliqué pour tout le
monde, n’est-ce pas.
De fait, la NLD capitalise énormément sur l’image et la
popularité de Suu Kyi, qui reste immense en Birmanie, malgré les bémols de ces
dernières années. La NLD appelle d’ailleurs à voter pour un parti (comprendre :
celui de Suu Kyi) et non pour des candidats. L’USDP, vu le passif, présente
évidemment la démarche inverse, et tente de s’appuyer sur ses candidats, tout
en mettant en avant timidement les supposés bons résultats de sa gestion des
affaires nationales : après tout, n’est pas grâce à lui que des élections
vont se tenir ? N’est-ce pas grâce à l’USDP que la transition démocratique
s’effectue en douceur ? Les sanctions n’ont-elles pas été levées ?
Le Président Thein Sein délivre également, ces derniers temps, des messages propres à
inquiéter une population qui craint avant tout le désordre, mettant en avant le
chaos issu des révolutions arabes et, à rebours du slogan de la NLD (« Time
for Change »), estimant que la Birmanie a assez changé : puisqu’elle
est désormais une démocratie, que voudrait-on de plus ? Le communisme ?
Au vrai, la menace communiste est une vieille rengaine des dirigeants birmans.
Il n’est pas sûr qu’aujourd’hui, sa portée soit encore très efficace, dans un
pays où la soif de changement est forte.
Pour les observateurs, la question principale est de savoir si la NLD remportera
suffisamment de sièges (soit 67 % des sièges à pourvoir) pour obtenir une
majorité, ou si – comme il est probable – elle devra rester dans l'opposition. Pour sa part, avec
seulement un tiers des sièges, l’USDP pourrait gouverner, avec l’appui des
militaires dont elle est issue.
Je ne suis pas sûre que l'important soit vraiment là. La Birmanie a entrepris, depuis 2011, des réformes considérables, qu'il était difficile d'imaginer dix ans auparavant. Connaissant la brutalité et la paranoïa des militaires au pouvoir, il aurait été osé d'espérer un abandon progressif du pouvoir de leur part. C'est pourtant bien ce à quoi on assiste. Avec un peu de recul historique, on comprendra donc aisément que cette transition démocratique est exceptionnelle, tant elle se passe en douceur, et on ne peut que rester stupéfait de la rapidité de celle-ci. Certes, on pourra faire la fine bouche, comme le font (et c'est leur job) les ONG des Droits de l'Homme sur la réalité de la transition et les conditions du vote. On pourra, au lendemain du vote, constater les multiples irrégularités qui ne manqueront pas de se produire. On pourra aussi ironiser sur la réalité du changement, les mêmes restant plus ou moins en place. Mais ce serait faire preuve de courte vue : dimanche, il s'agira juste de constater que 33 millions de Birmans auront eu la possibilité d'aller voter, et que cette (r)évolution s'est produite sans effusion de sang.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire