mercredi 29 février 2012

La résilience dans les publications doctrinales et stratégiques officielles

Rares sont les pays-membres de l'UE dont les Livres Blancs traitent de résilience. Outre la France et la Grande-Bretagne,  l'Estonie, la Finlande, les Pays-Bas et la République Tchèque utilisent ce concept.

J'ai déjà parlé du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale français de 2008, qui donne une définition acceptable et large de la résilience, mais ne fournit pas beaucoup de pistes qui se démarquent de la simple gestion de crise : « Cela suppose une organisation des pouvoirs publics conçue dès le temps de paix pour prendre en compte les hypothèses du temps de crise, et l’établissement de priorités dans les capacités de renseignement, d’analyse et de décision. La résilience suppose aussi d’organiser la coopération entre l’État et les collectivités territoriales, pour la complémentarité des moyens, et entre l’État et les entreprises privées dans les secteurs stratégiques (énergie, communication, santé, alimentation) » (p. 64). Le renforcement de la résilience, explique-t-il, passe par la protection des infrastructures vitales et l'amélioration de la communication et de l'alerte. Il est intéressant de noter au passage que l'amélioration de la communication de crise ne semble pas faire partie de la gestion de crise, qui fait l'objet du paragraphe suivant.... Plus loin encore, le document reprécise que la résilience repose à la fois sur les moyens et méthodes de surveillance du territoire (ça, ça me semble pour le moins douteux...) et le développement d'une capacité de réaction plus rapide (p. 314). Le document semble distinguer également entre ce qu'il appelle une « résilience globale » (p. 175) et la résilience des réseaux dont il traite à deux reprises. Bref, c'est flou, et ça ne fait pas un concept, mais juste un mot nouveau.

Les Britanniques sont, pour leur part, très familiers de la notion, qui est utilisée dans leur réflexion stratégique depuis une dizaine d'années. La National Security Strategy britannique de 2010 met donc la résilience à contribution dans un peu toutes les parties de son document (elle en fait en particulier une des huit tâches de la sécurité nationale), mais n'en donne pas une définition précise. La chose est considérée comme entendue. La précédente NSS, de 2008, la définissait par ses finalités, consistant à « assurer que notre communauté est préparée face à une attaque terroriste et capable de réduire ses conséquences et d'assurer un retour à la vie normale aussi vite que possible ». Il faut dire qu'en Grande-Bretagne, la résilience s'organise surtout autour du Civil Contengencies Secretariat, créé dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, avec l'idée que la Grande-Bretagne aurait, à coup sûr, à traiter d'un acte terroriste de grande ampleur sur son territoire. En 2004, le Civil Contengencies Act a pris acte des mesures déjà prises, et a posé les bases de l'organisation de la protection civile et de la résilience. Si on voulait traiter spécifiquement de la résilience en Grande-Bretagne, c'est donc de ce côté-là qu'il faudrait se tourner.

L'Estonie, dans son National Security Concept de mai 2010, en fait l'une des quatres directions de sa politique de défense (respectivement : Politique étrangère / Politique de défense / Politique de sécurité intérieure / Cohésion et résilience de la société). Le document ne fournit pas de définition de la résilience. Ce dernier chapitre traite de la résilience des services critiques (systèmes d'information, communications, cybersécurité, infrastructures de transport, sécurité énergétique, sécurité environnementale, système financier). La résilience paraît ainsi morcelée secteur par secteur, apparaissant, au mieux, comme une résilience de systèmes plus qu'une résilience de la société. Au pire, on pourrait considérer qu'il s'agit simplement de gestion de crise. Seul un paragraphe intitulé « Défense psychologique » développe des pistes réellement intéressantes, dont on peut dire qu'elles se démarquent de la simple gestion de crise : « La défense psychologique, émanant des valeurs constitutionnelles, sert à renforcer la sécurité de l'Estonie. Elle consiste dans le développement, la préservation et la protection des valeurs communes associées à la cohésion sociale et la sécurité. Le but de la défense psychologique est de sauvegarder la sécurité de l'Etat et de la société, de renforcer le sens de la sécurité, de prévenir les crisis et de favoriser la confiance au sein de la société et envers les actions de l'Etat. (...) La défense psychologique et la reconnaissance des valeurs constitutionnelles renforcent la résilience envers les activités subversives anti-estonniennes ».

Il n'empêche, le document semble faire de la résilience une sous-catégorie (et non pas un produit) de la cohésion sociale. Il estime donc que c'est grâce à la résilience des systèmes que la société pourra rester soudée, là où on aurait plutôt attendu l'inverse (la résilience comme produit et non comme source de la cohésion nationale).

La Finlande, dans sa Finnish Security and Defence Policy de 2009, s'en débarrasse d'un petit paragraphe : « La résilience d'une nation en crise s'exprime dans la détermination collective à défendre l'indépendance de l'Etat aussi bien que dans la capacité à maintenir la subsistance et la sécurité de la population dans toutes les situations. La résilience de crises psychologiques et la préparation générale de la société sont prises en compte dans le contrôle de situations spéciales, la protection des infrastructures critiques, la prévention de la marginalisation et l'éducation du public. Les organisations de volontaires jouent un rôle important ». Il faudrait ensuite descendre voir dans les documents traitant de ces questions si la résilience est vraiment évoquée, où s'il s'agit juste d'un effet décoratif.

Les Pays-Bas (National Security Strategy and Work Program de 2007) émettent l'idée que la coopération internationale est indispensable au développement de leur propre résilience. Il en va de même de l'échelon local, qui doit pouvoir compter sur l'Etat afin de favoriser la résilience au niveau local.
Enfin, le document stratégique de la République Tchèque (Security Strategy of the Czech Republic, de 2011) évoque à plusieurs reprises la nécessaire coopération active des citoyens et entrepreneurs à la sécurité nationale comme facteur de résilience face aux menaces de sécurité. L'idée n'est pas révolutionnaire, et l'on n'en saura pas plus sur cette résilience-là. En revanche, plus loin dans le document, on voit apparaître l'idée de « systèmes de résilience flexible », « capable de minimiser l'impact d'une cyber-attaque et de restaurer le système ». Cette résilience d'une nouvelle espèce (car elle n'a visiblement pas grand'chose à voir avec celle évoquée plus haut) se base sur le respect des standards de sécurité des systèmes d'information et de communication et l'éducation du public à la cybersécurité et à la sécurité de l'information. Le document précise que le public est « l'élément le plus vulnérable du système dans son ensemble ». C'est à méditer, et surtout à mettre en relation avec les conceptions anglo-saxonnes qui font, au contraire, du public l'élément en dernier ressort lorsque le système est atteint. C'est intéressant dans la mesure où ça dénote le degré de confiance accordé à la population par le système dirigeant. Pourrait-on penser que la réciproque serait vraie en cas de crise grave ?

Côté américain, la National Security Strategy de 2010 mentionne plusieurs fois la résilience, et lui consacre un paragraphe « Strengthen Security and Resilience at Home », dans lequel la résilience est définie comme « the ability to adapt to changing conditions and prepare for, withstand, and rapidly recover from disruption ». La suite évoque des mesures de prévention et de gestion de crise, mais je ne vois rien là qui ressortisse spécifiquement à la résilience, à part peut-être le renforcement des liens avec la population (notamment au moyen de partenariats publics-privés). Admettons.

Mais en règle générale, les Américains ne se préoccupent pas trop de résilience, au niveau collectif. L'usage de la notion reste essentiellement focalisé sur le risque terroriste, les catastrophes naturelles et les traumatismes individuels qui peuvent en découler. Ils ont tendance à considérer que la résilience fait intrinsèquement partie de la nation américaine, comme le dit d'ailleurs explicitement la NSS de 2010 : « resilience has always been at the heart of the American spirit ».

Les publications doctrinales proprement dites sont encore moins disertes sur la question, à l'exception de deux documents, l'un français (Concept Exploratoire "Résilience" de 2011) et l'autre britannique (JDP 02 Operations in the UK : The Defence Contribution to Resilience, de 2008, et son addendum de 2010), sur lesquels je reviendrai en détail.
 
Dans les documents de doctrine américains, il est rare de tomber sur le terme. C'est d'autant plus surprenant que :
 - Les Etats-Unis sont à l'origine de la notion en sciences sociales et ont produit un grand nombre de travaux (souvent pionniers) sur la résilience dans tous les domaines ;
 - Les Américains cèdent volontiers aux effets de mode (il n'y a qu'à voir le nombre de concepts magistraux produits puis abandonnés deux ans plus tard).
En revanche, les Etats-Unis se sont préoccupés de la résilience au niveau individuel. Depuis 2009, l'US Army a developpé, suite à un partenariat avec l'Université de Pennsylvanie (dans le cadre de son Programme de Psychologie Positive), de nombreux programmes pour favoriser la résilience de ses soldats ainsi que de leur famille.
Les Australiens cèdent à la mode en passant, mais sans en faire grand'chose non plus. La résilience est notamment évoquée (invoquée ?) à plusieurs reprises dans l'ADDP 00.6 Leadership in the Australian Defence Force, où elle caractérise des qualités individuelles pour le leadership, ou à la rigueur, la cohésion du groupe de combat.

Le Canada a mené des travaux intéressants, en considérant la résilience individuelle de ses soldats (ou, à la rigueur, au niveau du groupe) et en cherchant à l'améliorer. Cette recherche semble faire suite à la crainte, de la part des responsables militaires, que les soldats canadiens soient insuffisamment armés psychologiquement pour supporter la dureté de l'environnement en Afghanistan et les pertes. En 2009, le Canada validait la définition suivante : « Capacité que possède un soldat de récupérer rapidement, de résister et, possiblement, de se développer lorsqu’il est exposé directement ou indirectement à des événements traumatisants et à des situations adverses en garnison… ou en opérations ». Leur acception de la résilience est donc à mille lieues des conceptions françaises et britanniques, et pourrait à la rigueur se rapprocher de l'utilisation qu'en font les Australiens ou les Américains. La résilience utilisée ici est strictement celle des travaux en psychologie1. Quoi qu'il en soit, comme souvent, les Canadiens font preuve d'une belle rigueur méthodologique et leurs travaux sont instructifs.

La résilience est donc utilisée de plusieurs façons dans les documents officiels  :
  • La résilience entendue comme la participation active de la population à la gestion de crise. C'est la conception britannique de la résilience, la plus aboutie. On peut supposer que la France participe de cette conception, même si le document du CICDE va plus loin.
  • La résilience de la nation prise dans son ensemble : l'idée est déjà plus floue. Il s'agit d'une sorte de sursaut de la nation face à une agression majeure. Si on voit bien la figure de la nation résistante en armes face à l'agresseur, on imagine déjà plus difficilement ce que serait cette résilience face à une catastrophe d'origine non-directement humaine. L'exemple du Japon en 2011 fournit à cet égard des enseignements qu'il conviendrait de prendre en compte dans la perspective des travaux sur la résilience.
  • La résilience des infrastructures critiques : il s'agit de leur capacité à résister/s'adapter à des chocs ou même des attaques de grande ampleur. En général, cet aspect est un peu développé, citant quelques pistes de mise en oeuvre ;
  • Résilience de niveau individuel. Le processus est ici bien décrit par la psychologie, même s'il continue à faire débat.
Comment expliquer la discrétion de la résilience dans les publications stratégiques et doctrinales, alors que le terme connaît un effet de mode certain ? Comme on l'a vu, la notion se prête mieux à l'analyse ex-post qu'à la prédiction, la planification ou même l'anticipation. C'est contrariant pour un document de doctrine ou de stratégie générale. Voilà qui explique certainement qu'à deux exceptions près, on en n'a pas fait grand'chose.


1. Si on s'intéresse à cet aspect-là de la résilience dans le domaine des opérations militaires, on se reportera utilement à l'étude publiée par la RAND en 2011 Promoting Psychological Resilience in the US Military.

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