Un sujet agite actuellement l’US Army : celui des tests d’évaluation de la condition
physique. Le Département de l’Education Physique de West Point a en effet
travaillé depuis 2013 sur un nouveau format de tests, qu’il vient de rendre
public. L'Army Combat Fitness Test (ACFT), actuellement en phase d'évaluation, devrait être mis en œuvre en octobre 2020.
L’ancien Army Physical
Fitness Test (APFT), en vigueur depuis les années 1980, était composé de trois
tests (pour une histoire, passionnante, de ces tests, c’est ici) :
- Un maximum de pompes en 2 minutes ;
- Un maximum de sit-up (abdos de type crunch, mais en relevé complet) en 2 minutes ;
- Une course de 2 miles.
Les grilles de résultats variaient suivant l’âge et le sexe.
Le maximum, avec un peu d’entraînement, était atteignable par beaucoup.
Le nouveau test proposé se veut plus complet. Il entend
aussi réduire les blessures. Il faut dire que sit-up et crunchs sont aujourd’hui
(et même déjà naguère…) très critiqués par les médecins du sport. Même
effectués correctement (ce qui est loin d’être toujours le cas, et plus encore
lorsqu’on essaie d’en effectuer un maximum en un temps donné), les crunchs sont
assez mauvais pour le dos. Surtout, il existe de bien meilleurs exercices pour
travailler les abdos, bien plus complets.
Le nouveau ACFT, qui doit être effectué en 50 minutes (avec
des pauses de 2 minutes entre chaque exercice), comprend :
- Un lever de barre hexagonale, par trois fois en 5 minutes[1] ;
- Un jeté de medecine ball derrière la nuque (3 essais possibles) ;
- Un maximum de pompes en 3 minutes, en posant la poitrine et lâchant les mains à chaque pompe (ce qui, pour moi, au passage, est un excellent moyen d’être sûr que les pompes sont effectuées complètement, et pas avec un balancier secourable du bassin et des épaules) ;
- 5 X 25 mètres (1. Sprint, 2. En tractant un poids, 3. En pas chassés, 4. En portant des poids, 5. Sprint).
- Suspendu à une barre de traction, effectuer un maximum de montées de genoux (jusqu’aux coudes) en 2 minutes.
- Une course de 2 miles.
Il n’y aura qu’un seul barème, identique pour tous les âges
et les sexes. On peut voir que les barèmes sont assez relevés, en ce qui concerne les
maximums possibles. A première vue, l’Army estime que seuls 1 à 2% des évalués
devraient les atteindre.
Les (nombreux) reproches qui lui sont adressés sont les
suivants :
- Contrairement à son objectif, le nouvel ACFT pourrait augmenter les blessures. Les critiques pointent le fait que les plafonds des anciens standards étaient atteignables par beaucoup de soldats, ce qui faisait leur fierté. Ce ne sera plus le cas avec les nouveaux standards, et ces critiques craignent donc que certains soldats ne dépassent leurs limites pour atteindre les maximums. Ils craignent aussi un effet inverse : que les soldats, découragés d’atteindre le maximum, se contentent d’atteindre les minimas sans plus chercher à développer leur condition physique. Les promoteurs du nouveau test arguent au contraire du fait que les soldats seront obligés de s’entraîner de façon plus complète. On peut également espérer que les soldats de l’Army sont aussi des sportifs qui ont à cœur de devenir meilleurs, tout simplement.
- Il est plus compliqué à mettre en œuvre car il demande plus de matériel. Effectivement, le précédent APFT ne demandait aucun matériel. C’est un argument qui porte. En même temps, que des unités disposent d’un peu de matériel de fitness ne paraît pas complétement aberrant, d’autant plus qu’il peut servir aux soldats à s’entraîner de façon plus complète tout au long de l’année. L’Army estime l’investissement à 20 millions de dollars, ce qui ne paraît pas non plus insurmontable, mesuré à l’aulne des budgets américains. Mais cette question du matériel revient souvent, avec parfois, en fond, une pointe de mépris viril pour des agrès qui font un peu « salle de gym ».
- Les critiques pointent aussi le fait que les soldats ne pourront pas s’entraîner fréquemment à ces exercices spécifiques. Ceci représente, à mon avis, une incompréhension de ce qu’est la préparation physique, qui est un tout. Il n’y a pas besoin d’équipements spécifiques pour s’entraîner au quotidien et le petit matériel peut être trouvé facilement, ce que fait n’importe quel sportif (avec un agglo et un set d’haltères, on peut déjà faire un sacré travail). D’ailleurs, l’Army a publié un très intéressant guide d’entrainement.
- Il est plus long à mettre en œuvre. L’ancien APFT permettait de tester une compagnie en 2 heures.
- Un autre reproche qui lui est fait concerne l’entraînement : le nouveau ACFT demande de plus nombreuses qualités physiques, et le soldat n’aurait pas le temps de toutes les développer. Personnellement, je trouve cet argument un peu surréaliste, dans la mesure où un fantassin doit précisément avoir un physique complet, ce qui ne se limite pas aux pompes-abdos traditionnels.
- Le format de barème (le même pour tout le monde) déroute et paraît injuste. En effet, les plus gradés, plus âgés, risqueront de voir leur score diminuer au fil du temps (ce qui n’est d’ailleurs pas certain, comme le montre cet article). Comme l’explique cet article (à décharge), ce nouveau test implique de changer aussi les mentalités. Il s’agit d’inculquer une véritable culture du fitness.
- Un reproche que je n’ai pas lu, et qui pourrait s’appliquer aussi au précédent test, est le manque de tests d’endurance. Seules la force, l’explosivité et la vitesse aérobie sont testées, certes dans des dimensions plus variées qu’avec le précédent test. Mais il faut reconnaître qu’avec la durée du test (50 minutes), l’endurance est indirectement testée : les soldats testeurs ont ainsi constaté qu’ils étaient loin de leur meilleur temps sur la course de 2 miles, qui intervient à la fin du test.
L’Army se laisse un an pour évaluer ce test dans les unités,
notamment pour ajuster les barèmes. Nul doute qu’il fera couler autant d’encre
que de sueur !
[1] Le choix
d’une barre hexagonale, plutôt que la traditionnelle barbell a été critiqué. Il
y a plusieurs raisons pour lesquelles les bar-hex sont moins populaires : le
geste est beaucoup moins technique, ce n’est pas une épreuve en compétition
d’haltérophilie. Mais une mauvaise exécution d’un lever de barbell peut occasionner des blessures
graves, ce qui n’est pas le cas avec la barre hex (voir ici un excellent article sur la comparaison entre bar-hex et
barbell).